C’est mon premier enfant et je ne connais rien à tout cela. Mais je sais, je sens, qu’il est en pleine forme, qu’il n’a besoin de personne pour se développer et se préparer au grand saut vers la lumière, qu’il saura d’instinct ce qu’il doit faire pour venir au monde.

Et moi ? Ne puis-je pas enfanter avec un peu plus de poésie que ce que l’on me présente ici ?

Ne puis-je pas, comme une chatte, me cacher dans un coin sombre et tranquille lorsque le moment sera venu, puis laisser mon bébé et mon corps œuvrer en douceur ?

C’est décidé : lorsque les premiers signes apparaîtront, je garderai pour moi le secret de l’imminence de cette naissance et mettrai mon bébé au monde dans l’intimité de notre maison (en réalité à cet instant, je m’imaginais même me cacher au fond des bois…). 

A défaut d’instinct, ne puis-je pas accoucher avec intuition ?

A défaut d’instinct, ne nous reste-t-il pas quelques atavismes, qui se révèleraient aux moments clés de la vie ?

Ne puis-je pas débrancher ma tête et laisser mon corps faire son travail ?

La médicalisation (pour ne pas dire l’hyper-médicalisation) de l’enfantement était-elle la condition sine qua non à la survie de l’espère humaine ?

Cette douleur dont on parle, est-elle insurmontable ?

N’a-t-elle pas une fonction ?

NE FAUT-IL PAS DISTINGUER DOULEUR ET SOUFFRANCE ?

Et tous ces risques que l’on prévient, sont-ils réels ? Ne les a-t-on pas exagérés, à force de vouloir les éviter ?

Faut-il vraiment que quelqu’un nous dise quand pousser ? !!!

Le bébé risque-t-il vraiment de s’essouffler ?

La péridurale est-elle la panacée que l’on nous présente ?

Est-il si anecdotique d’être ou de ne pas être actrice de son enfantement ?

La dépression du post-partum n’est-elle pas la conséquence de ce renoncement à mettre au monde ?

J’en arrive à penser que les seuls acteurs indispensables à cet acte de vie si déterminant sont le bébé et sa mère ! C’est soudain comme une évidence. Et toute personne extérieure – hormis le père bien sûr – dans le cadre d’un accouchement sous les meilleurs auspices (c’est-à-dire dans la majorité des cas !) ne viendrait que perturber cet acte parfaitement programmé.

A ce stade de mon histoire, le doute que l’on a bien voulu m’insuffler sur ma capacité à mettre au monde mon bébé sans assistance s’est renversé : ce doute, à présent, est tourné vers la médicalisation. Avec toute ma naïveté de primipare, j’ai la certitude d’en être capable. 

Tout au long de mon parcours de mère, mes certitudes ont, au fil des jours, laissé place à leur contraire. J’ai finalement renoncé à croire que je pouvais être un animal.

Pour mon premier bébé, né dans notre salle de bains sous le regard attentif de son père et de notre meilleure amie, mon cerveau d’humain à brusqué le dernier acte : j’ai eu peur que mon enfant reste coincé et j’ai poussé trop fort. Il m’a fallu recourir aux talents de couturières des médecins du CHU.

Bien. J’admets que la lionne, elle, ne s’inquiète pas de la santé de ses lionceaux avant qu’ils ne soient nés et qu’au moment de l’expulsion, elle ne fait que s’économiser et ne pousse pas plus que de raison ! Malgré cette issue un peu brutale, la naissance fut un moment magique, durant lequel le temps fut suspendu et le bébé est arrivé en pleine forme.

J’ai beaucoup à apprendre et ce faisant, je m’éloignerai encore davantage de cette femelle à laquelle j’aspirais ressembler.

Oublions l’instinct et misons sur l’intuition (restructuration de la mémoire) : faire confiance à son atavisme et ne pas interférer sur le travail naturel du corps, en toute confiance dans un certain abandon.

Au fil des mois et des années, j’ai admis qu’enfanter, aux quatre coins du monde, reste un moment difficile, souvent subi, empreint de cris et de douleur, voire de souffrance si l’on ne l’admet pas. Que l’accouchement en douceur entouré de quelques personnes choisies est le fruit d’une démarche réfléchie et d’un héritage culturel encore frais et confidentiel.

Mais ne confondons pas Douleur et Souffrance.

Quand la seconde laisse une trace indélébile, la première elle, s’évanouit à l’instant même où l’enfant apparaît : n’est-ce pas là sa fonction ? Associer l’image de l’enfant à un soulagement indicible ? 

Il ne s’agit pas ici d’imposer la naissance physiologique comme la seule bonne manière de mettre au monde son bébé. Si l’accouchement doit être synonyme de souffrance, mieux vaut s’en remettre aux spécialistes et s’épargner cette guerre. Épargner au bébé et à sa mère que ce jour reste synonyme de traumatisme. 

Mais l’alternative à la médicalisation existe et est possible dans la grande majorité des cas. Elle concerne toutes les femmes dont la grossesse est vécue comme naturelle, ne présente pas de difficultés ni de contre-indications à un enfantement par voie basse.

C’est à toutes ces femmes que le film s’adresse, afin qu’elles prennent le temps de se demander si elles sont prêtes à devenir mère avant que leur enfant ne soit né. Si elles sont prêtes à laisser leur corps travailler, leur enfant s’exprimer et à surmonter cette douleur sans en faire une souffrance. A envisager ce passage de leur vie comme un rite initiatique dont elles sortiront plus fortes, plus femmes et plus mères.

Et si tout cela ne fait pas écho, ce bébé qui arrive n’a-t-il pas droit de naître comme son instinct le lui dicte ? Car lui est encore un mammifère ; de sa naissance au langage, il traversera les millénaires.

Nina Narre

Un film d’investigation

C’était en avril 2020. Nous sortions tout juste de la clinique Brétéché ou nous avions tourné officiellement pour un film sur le protocole sanitaire (Ce qui deviendra « Merci le pangolin »)
La réalité était plus sportive : je comptais mettre cette occasion à profit pour « FAUT PAS POUSSER ! ».
La fin du tournage fut musclée. J’avais joué le tout pour le tout et interrogé les soignants sur les effets secondaires de la péridurale et sur l’absurdité de la position obstétricale.
Ma cameraman me demanda :
« Pourquoi es tu si agressive ? ça n’en vaut pas la peine … tu ne fais pas un film d’investigation, n’est-ce pas ?
– Si ! mille fois SI !!! Je veux qu’ils de prennent les pieds dans le tapis lorsqu’ils nous parlent de la position ; je veux qu’ils soient coincés et qu’on les voit mentir effrontément lorsqu’ils soutiennent que la péridurale est un geste parfaitement anodin ! Je veux que l’on comprenne que les femmes sans péri leur compliquent la vie et qu’ils n’ont pas envie de s’embêter. Je tiens à montrer que les cliniques sont des entreprises, que le protocole est là pour limiter le risque médico-légal, que les sages-femmes ne sont pas assez nombreuses, que ce qui devrait être proposé aux femmes comme une option est présenté comme la seule solution pour sauver tout le monde ! « 

Oui, « FAUT PAS POUSSER !  » est un film d’investigation. Et c’est pour cette raison que sa gestation a été longue, son tournage difficile à caler, que le montage a pris 8 15 semaines.
Et c’est pour cela qu’il jouera un rôle dans l’avenir de la prise en charge de la naissance en France. Je ferai tout pour ça.